Comment vit-on dans la ville la plus haute du monde ?

PAR COLINE PAISTEL Ouest France
Ses habitants défient chaque jour les limites de ce qui est physiquement supportable pour l’organisme. La ville de La Rinconada au Pérou, située à 5 300 m d’altitude, est la plus haute du monde. En février, elle accueillera pendant six semaines une équipe de scientifiques et médecins de l’université de Grenoble. Ils étudieront les effets du manque d’oxygène sur le corps humain.

C’est la ville la plus haute du monde. Nichée au cœur de la Cordillère des Andes, la ville péruvienne de La Rinconada a été construite à 5 300 m d’altitude. Dans ce « bidonville » sans eau courante, où l’air contient deux fois moins d’oxygène que celui du niveau de la mer, 50 000 habitants « défient chaque jour le fonctionnement de l’organisme ».
C’est cette population unique qu’une équipe d’une quinzaine de chercheurs et médecins de l’Université de Grenoble Alpes va étudier pendant six semaines, à partir du 28 janvier.
« Ils ont modifié leurs gènes »
« Cette population naît, vit, travaille à une altitude qu’on ne pensait pas tolérable pour l’homme », résume Samuel Vergès, responsable de « l’Expédition 5 300 » et chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Comment leur corps s’adapte-il ? « Face au manque d’oxygène, le corps réagit : il augmente la ventilation et le cœur bat plus vite pour compenser le manque d’oxygène. Lorsque la situation dure, on accroît la capacité du sang à transporter de l’oxygène en augmentant le nombre de nos globules rouges. »
Les scientifiques ne connaissent pas encore tous les mécanismes dans le cas de ces populations péruviennes vivant en haute altitude. « Mais, ces gens ont modifié jusqu’à leurs gènes. Ils ont augmenté leurs globules rouges et leur sang est devenu plus visqueux, circulant moins bien dans les veines. Leur cœur doit donc forcer. Cela explique pourquoi certains habitants tombent malades. »
Le mail aigu des montagnes
En effet, à La Rinconada, un quart des habitants souffre « de maux de tête, de problème de circulation sanguine, de problème de sommeil ». C’est ce qu’on appelle le mal aigu des montagnes. Pourquoi eux et pas les autres ? C’est le mystère que l’équipe va tenter de percer.
« Nous allons étudier leurs gènes, leur cœur, leur sommeil, leurs efforts physiques… » Avec l’idée de mieux comprendre leurs différences ainsi que les réactions de leur organisme, mais aussi « d’aider ceux qui souffrent ».
« J’avais les lèvres bleues, les ongles bleus et des cernes bleus »
Ce mal aigu des montagnes, Camille Guitton, infirmière le connaît bien. Cette jeune Bretonne a vécu un an à El Alto, une ville située à 4 100 m d’altitude sur les hauteurs de La Paz, en Bolivie. Dès son arrivée, en avion, le choc a été rude : « Mon corps n’avait pas eu le temps de se préparer à l’arrivée en altitude et je n’y avais jamais été confrontée. Très vite, je me suis sentie essoufflée et j’ai eu des difficultés à digérer », se souvient la jeune femme qui travaillait dans un centre médical.
« Les premiers jours, j’étais cyanosée : j’avais les lèvres bleues, les ongles bleus et des cernes bleus. J’ai mis deux mois à retrouver mes capacités. » Si beaucoup ont des migraines, Camille y a réchappé. « Nous ne sommes pas tous égaux face à l’altitude. »
À chacun son seuil de tolérance
Une réalité que l’équipe de Samuel Vergès veut comprendre. « Le seuil de tolérance au manque d’oxygène est vraiment individuel. Les habitants des plaines peuvent souffrir du mal des montagnes dès 1 500 m. Ces maux concernent une personne sur deux. Pour les populations qui habitent à la montagne à l’année, les maux touchent 5 à 10 % de la population dès 3 000 m. Puis ce pourcentage augmente avec l’altitude. »
Face à ces maux, le seul traitement est de redescendre, pour Samuel Vergès. « Ou de monter progressivement… » Camille Guitton, elle, a quelques astuces : « Mes meilleurs conseils, après avoir accompagné plusieurs invités dans leur acclimatation, c’est du repos demi-assis, de boire du maté de coca [une boisson locale, Ndlr] et un dîner léger vers 18 h pendant la première journée. »
Mieux soigner les pathologies respiratoires et conquérir l’espace
L’étude de l’équipe grenobloise est la première du genre. Et ses résultats pourront être utilisés bien au-delà de la vie en altitude. « Il y a deux conditions pour l’hypoxie [le manque d’oxygène, Ndlr], explique Samuel Vergès. L’altitude et certaines pathologies respiratoires touchant des gens qui vivent en plaine. » L’étude permettrait ainsi un meilleur accompagnement des personnes souffrant de maladies pulmonaires ou d’apnée du sommeil.
Mais les résultats serviront aussi pour la conquête de l’espace. Dans les modules spatiaux comme la station spatiale internationale (ISS), « il est compliqué de recréer un environnement en oxygène similaire à la terre », l’oxygène étant inflammable. Et il y a une grosse différence de pression entre l’intérieur de la capsule et l’extérieur lorsque les astronautes font des sorties dans l’espace. « Donc si un jour on doit aller sur Mars, il faudra créer des modules avec un niveau d’oxygénation plus faible, similaire à la haute altitude », avance le chercheur. Mais avant ça, cap sur les toits du monde !.

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